RadioSouvenirsFM

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mardi 30 décembre 2008

Média_Il y a 50 ans: dure grève à Radio-Canada




Roger Mathieu, président de l'ancêtre de la CSN, et le comédien Jean Duceppe, à gauche, sont venus prêter main-forte aux grévistes de Radio-Canada en mars 1959.

Il y a 50 ans aujourd'hui, les réalisateurs de Radio-Canada «sortaient» pour faire valoir leurs droits. La grève a duré 63 jours. Retour sur un événement qui a marqué l'histoire du Québec.

«On sort!» Le lundi 29 décembre 1958 à 17 h, le mot d'ordre retentit dans les couloirs de Radio-Canada. Sur-le-champ, quelque 80 réalisateurs de télévision du Service français troquent leurs feuilles de route pour des pancartes et sortent former le premier piquet de grève de la jeune histoire de la télévision publique, qui vient d'entreprendre sa septième saison.

Dehors, quatre hommes font déjà les cent pas sur le boulevard Dorchester, devant l'ancien hôtel Ford. Fernand Quirion est le réalisateur des Belles histoires des Pays d'en haut, l'une des émissions les plus populaires du temps. Ses collègues l'ont choisi pour présider leur futur syndicat, qui serait - c'est là le coeur du conflit - le premier syndicat de cadres au Canada.

Le comédien Jean Duceppe - le volcanique Stan Labrie de la Famille Plouffe - est là en sa qualité de président de l'Union des artistes (UDA), dont les 1000 membres, c'est entendu, respecteront les piquets de grève. Comme le feront ceux de la Société des auteurs, que préside Jean-Louis Roux, l'Ovide Plouffe du petit écran, et des centaines d'autres techniciens et artisans de Radio-Canada, encore le seul réseau de télévision au Canada.

À leurs côtés marchent Jean Marchand, secrétaire-général de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, et Roger Mathieu, journaliste à La Presse et nouveau président de la même CTCC - l'ancêtre de la ">CSN. Deux mois plus tôt, dans un geste sans précédent, les journalistes de La Presse avaient spontanément quitté la rédaction de la rue Saint-Jacques devant le refus de la direction du journal, bientôt remplacée, d'accorder à Mathieu un congé sans solde pour lui permettre d'assumer la présidence de la puissante centrale syndicale. Cet arrêt de travail de 13 jours marqua l'émergence de «nouvelles perspectives pour le journalisme de langue française au Canada»(1).

Maurice LeNoblet Duplessis, «le Cheuf», règne toujours sur le Québec, mais des flashes de progrès de plus en plus fréquents viennent percer ce que l'on appellera la Grande Noirceur. Entre-temps, dans une atmosphère bon enfant, les réalisateurs de Radio-Canada sont à ériger, sans le savoir, un des grands mythes de l'histoire du Québec. Il fait «un frette de beu» à Montréal, mais pas de problème: l'affaire va se régler en quelques jours...

La direction du Service français, toutefois, n'a pas les pouvoirs pour négocier avec les réalisateurs. De toute façon, ils vont «rentrer» bientôt car ils mènent une grève illégale, selon le siège social d'Ottawa, qui délègue à Montréal deux négociateurs... unilingues anglais.

Jusque-là, le journaliste pigiste René Lévesque se sentait peu touché par cette grève, outre le fait que son émission, Point de mire, avait été remplacée, comme toutes les autres, par des films. Les premiers sondages montraient d'ailleurs que les téléspectateurs préféraient Bourvil, Fernandel et Gabin aux vedettes de la grille habituelle. Sauf, peut-être, dans le cas des Canadiens et de La Soirée du hockey...

Les Fêtes passées, ça commence à maugréer dans les rangs de l'UDA. Mais René Lévesque, devant l'indifférence d'Ottawa et des employés de la CBC, a pris fait et cause pour les grévistes et va galvaniser les dissidents. Il deviendra, dans «une violence verbale inouïe», écrira son biographe Pierre Godin(2), la figure de proue de la grève.

À compter du 12 janvier, le public, lui, fait sentir son appui en emplissant soir après soir la Comédie canadienne (aujourd'hui le TNM), où est présentée la revue Difficultés temporaires. Le spectacle-bénéfice - il y aura aussi N'ajustez pas votre appareil - réunit des artistes comme Raymond Lévesque, Lucille Dumont et, pour la première fois sur scène, un jeune chansonnier du nom de Jean-Pierre Ferland.

Le 19 janvier 1959 marque un tournant dans l'affrontement alors que plus de 1000 personnes se rendent à Ottawa pour une marche en appui aux réalisateurs. Parmi elles: Pierre Elliott Trudeau, Jeanne Sauvé, Pierre Bourgault et René Lévesque, qui, après la réunion avec le ministre du Travail Michael Starr - «qui ne comprend rien de ce qu'on lui dit» - saisit le fossé qui sépare «les deux solitudes». «C'est juste le réseau français qui est paralysé», lance un Lévesque sarcastique. «Si la grève avait été déclenchée à Toronto, elle aurait duré trois jours...»

À Montréal, elle en durera 63 et ne se terminera pas avant que la brigade à cheval de la police de Montréal ne lance une charge violente contre les grévistes (le 2 mars 1959), affrontement au cours duquel Lévesque, Jean Marchand et une trentaine d'autres personnes seront arrêtées pour avoir «troublé la paix publique».

Après des pressions de l'auteur Claude-Henri Grignon, qui attaquera furieusement René Lévesque dans ses écrits, Fernand Quirion perdra son poste aux Belles histoires. Jean Duceppe, lui, deviendra un des grands acteurs de la scène montréalaise. Quant à René Lévesque, désormais persona non grata, il quittera Radio-Canada au printemps de 1960 et se fera élire avec «l'équipe du tonnerre» du libéral Jean Lesage. Et on commencera à parler de la «révolution tranquille».

Plus tard, le boulevard Dorchester, là même où René Lévesque fut embarqué dans le panier à salade au cours d'une grève mythique, sera rebaptisé en son honneur.

Sources

(1) Histoire de La Presse (t.II), Cyrile Felteau, Éd. La Presse, 1984. (2) René Lévesque - Un homme et son rêve, Pierre Godin, Boréal, 2007.

Source : LaPresseAffaires
Par : Daniel Lemay

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