RadioSouvenirsFM

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jeudi 11 décembre 2008

Média_Un avenir radieux



Une fois par année, des centaines de journalistes se réunissent lors du congrès annuel de leur fédération, la FPJQ, qui se passait à Québec. Ils assistent sagement à des ateliers, poursuivent d'interminables discussions, se décernent des prix, discutent des derniers potins de la profession (le sujet chaud du week-end, c'était la menace de conflit au Journal de Montréal) et, de façon générale, ils prennent la température de leur profession.

À vue de nez, un grand nombre de participants cette année étaient assez jeunes. Sont-ils inquiets, découragés? Ils sont le plus souvent pigistes ou surnuméraires, ils se font dire que les journaux sont à la veille de fermer, que les médias sont tous en compressions budgétaires, mais que l'on vit quand même une époque formidable, pleine d'occasions pour les plus dynamiques qui veulent se lancer sur Internet, sans trop savoir comment ils pourront ainsi payer leur loyer ou leur hypothèque.

Peut-être un peu masochiste, j'ai particulièrement suivi, lors de ce congrès, les ateliers qui étaient consacrés à l'avenir des médias traditionnels et à l'avenir des nouvelles.

J'ai donc rencontré Philip Meyer. Ce journaliste américain, doublé d'un universitaire, venait expliquer le contenu de son livre The Vanishing Newspaper, paru en 2004. Meyer fait remarquer qu'aux États-Unis c'est en 1922 que le taux de pénétration des journaux dans les foyers américains a atteint un sommet! Le déclin ne date donc pas d'hier. Mais cette lente érosion, causée par l'arrivée successive de la radio et de la télévision, s'est évidemment accélérée depuis l'arrivée d'Internet.

Meyer remarque que chaque nouvelle génération depuis cent ans pouvait renouveler le lectorat, au rythme des décès et des naissances. Mais il se produit actuellement un bouleversement majeur: pour la première fois, la nouvelle génération ne lit plus les journaux. Elle prend ses informations sur Internet. Gratuitement.

Meyer publie dans son livre d'impitoyables graphiques sur le déclin du lectorat, et des chercheurs les ont analysés pour se rendre compte que si le déclin se poursuit au même rythme, on arrivera très précisément en 2043 au point zéro du taux de lectorat, avec un seul lecteur de journal en Amérique...

J'ai demandé à Philip Meyer s'il croyait que les grands journaux de masse comme USA Today (ou Le Journal de Montréal, tiens) avaient un avenir. Sa réponse a fusé, précise comme un balle: non. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un jeune blogueur qui découvre le monde, mais bien d'un homme de 77 ans, qui a oeuvré 25 ans sur le terrain (par exemple comme correspondant à Washington) et qui vient de quitter la chaire de journalisme d'une université de Caroline du Nord.

Meyer a un seul message: les lecteurs qui étaient les moins intéressés par les nouvelles ont déjà abandonné les journaux. Les journaux qui survivront devront être nécessairement plus petits, soutient-il, plus chers, et s'adresser strictement aux «newsjunkies» affamés d'analyses, d'interprétation et d'enquête, et qui seront prêts à payer le gros prix pour assouvir leur faim.

Dans un autre atelier, on accumulait les signaux rouges: Internet a complètement vampirisé les petites annonces, qui ont déjà représenté 40 % des revenus de certains journaux, et les revenus publicitaires sont en train de massivement migrer vers Internet. On prévoit d'ailleurs qu'aux États-Unis, Internet sera devenu le principal média pour les publicitaires en 2012.

Internet a développé une culture de la gratuité. C'est pourtant une fausse gratuité: l'internaute doit payer son fournisseur Internet, et les informations qu'il lit sur Internet, il a toujours bien fallu qu'une entreprise de presse paye du personnel pour les trouver et les écrire!

Mais le consommateur voit mal pourquoi il payerait un abonnement pour lire des informations de base qu'il trouve gratuitement sur d'autres sites.

Pour survivre, les médias doivent donc trouver de nouvelles sources de revenus. Le congrès de la FPJQ n'a évidemment pas permis de trouver la méthode de financement miracle qui sauverait tout le monde. Nous sommes dans une période de tâtonnements, d'essais-erreurs. «Chez Cossette, explique Pierre Delagrave, un des patrons du Groupe Cossette, nous pensons que l'information sera gratuite dans l'avenir, mais financée par toutes sortes d'applications sur les sites Internet.»

«Il faut cesser d'être des médias, et devenir des entreprises d'information qui développent des produits dérivés» explique Philippe LeRoux de VDL2.

Certaines entreprises développent donc une profusion de blogues, en espérant que la fréquentation de ceux-ci multipliera les pages vues sur Internet, ce qui permettrait, en principe, de vendre plus de publicité.

D'autres font payer pour des dossiers d'information plus substantiels. D'autres développent des services connexes à l'information, par exemple des services d'hyperliens. Et l'on fait remarquer que Google est devenu un monstre milliardaire... en donnant accès à l'information qui est produite par les autres.

Cette «valeur ajoutée» à la nouvelle s'apparente à une sorte de Graal, que les entreprises cherchent frénétiquement pour pouvoir retrouver la prospérité.

On a également beaucoup entendu lors de ce congrès que les médias doivent maintenant partager leur espace avec le citoyen. Le lecteur veut pouvoir participer au média qu'il consomme. Certains croient même que des journaux devraient maintenant offrir des cahiers conçus par les lecteurs eux-mêmes. Les journalistes seraient donc devenus des sortes de passeurs, de dialoguistes.

Remarquez que lorsque l'on voit Remstar acheter TQS et affirmer que les nouvelles dans les émissions d'information seront maintenant livrées par les acteurs sociaux et les acteurs de l'événement eux-mêmes, on peut vraiment se demander à quoi servent les journalistes. Je pourrais facilement répondre: ils servent justement à mettre du sens, du contexte et de l'esprit critique dans tout ce fatras. Mais êtes-vous prêts à les payer pour le faire?

Source : LeDevoir.com
Par : Paul Cauchon

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