RadioSouvenirsFM

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samedi 3 janvier 2009

Média_La radio et la télévision suisses sous l’œil de leur public



À l’heure où l’audiovisuel public français connaît de profonds bouleversements, regard sur le système suisse qui fait fortement appel aux citoyens

Avec des mines de conspirateurs enjoués, les membres du Conseil des programmes dissimulent de jolis paquets dans ce salon d’un hôtel de Lausanne où ils sont réunis pour la journée.

Pour le départ à la retraite d’Yves Ménestrier, le directeur de la programmation de la Télévision suisse romande (TSR), ils lui offrent une spécialité viticole par canton, soit sept bouteilles venues de toute la Suisse francophone.

Neuf fois par an, les 23 membres de ce conseil se rassemblent pour faire entendre aux professionnels de la radio et de la télévision publiques leur point de vue sur les émissions diffusées et débattre de questions de fond.

Emblématique de la démocratie participative helvète, le Conseil des programmes regroupe des « citoyens de base qui s’engagent dans une institution pour représenter le public », explique Yann Gessler, son président.

D’âges et de profils socioprofessionnels divers, ils ont tous en commun la passion des médias. « Je suis téléphage, explique d’un air gourmand Nicole Berger, bibliothécaire de 57 ans venue du canton de Fribourg. Le Conseil des programmes permet de faire entendre les voix de toutes les sensibilités régionales. »

"Voir comment les programmes sont construits"
Pour Frédéric Rohner, juriste de 41 ans du canton de Vaud, le Conseil des programmes permet de « voir comment les programmes sont construits, de contribuer à la critique, tant négative que positive, et peut-être d’infléchir les émissions ».

Pour Adrien Juvet, 23 ans, étudiant en journalisme du canton de Neuchâtel, « c’est l’occasion de s’exprimer. En Suisse, nous sommes habitués à voter sur des sujets extrêmement divers. Ici les débats sont intenses. »

La journée s’ouvre sur la signalétique de la violence à la Télévision suisse romande. Il n’existe qu’un simple logo rouge dont personne ne sait vraiment dans quels cas il s’applique. Le Conseil des programmes propose la définition de tranches horaires liées aux âges (pas de programmes déconseillés aux moins de 12 ans avant 22 heures, par exemple) avec l’utilisation de logos incrustés dans l’image indiquant des âges minimums.

« Nous voudrions que les logos soient omniprésents, rappelle Matthieu Béguelin du canton de Neuchâtel, car les émissions peuvent être enregistrées et regardées n’importe quand. Ces logos sont destinés aux parents afin qu’ils sachent d’un coup d’œil ce que regardent leurs enfants. »

Des différences de sensibilité entre les cantons
Chargé d’une étude sur la violence au niveau national pour la télévision suisse publique, Alberto Chollet note les différences de sensibilité entre francophones, italophones et alémaniques : « Le plus simple serait de s’en tenir au plus petit commun dénominateur, mais je préfère intégrer les suggestions des uns et des autres. Il faut parvenir à unifier nos critères d’évaluation. »

Suit un débat qui tient particulièrement à cœur aux membres du Conseil des programmes : la place des informations régionales. Depuis plusieurs années, ils attirent l’attention sur le « lémanocentrisme » qui voudrait que toute l’actualité se concentre autour du seul lac Léman et de ses principales villes : Genève et Lausanne !

Puis sont passées en revue les émissions de la concurrence, avec distribution de bons points et de coups de règles : sexisme d’un commentaire, place exagérée d’un logo commercial dans un reportage, part accrue de l’autopromotion et de la prise de parole sur une radio musicale, SMS injurieux envoyé par un téléspectateur et diffusé à l’antenne le soir de l’élection d’Obama, polémique après le dérapage verbal d’un invité d’une émission culturelle…

Vifs, les échanges ne laissent personne indifférent. Tour à tour intéressés, amusés ou agacés, les professionnels de la radio et de la télévision expliquent, rendent compte, se font pédagogues ou parfois se rebiffent. « L’avantage de ce métier, note avec humour Patrick Nussbaum, directeur de l’information de la Radio suisse romande (RSR), c’est qu’on ne fait que des mécontents. »

"Cela fait partie de la culture de ce pays"
Gilles Pache, son homologue à la TSR, commentera un peu plus tard : « Mille deux cents professionnels font tous les jours une télévision publique qui, même si elle est petite, est nationale. Alors que vous avez le sentiment d’avoir un minimum de compétences, il faut accepter d’être interpellé, même si c’est parfois agaçant. Cela fait partie de la culture de ce pays. »

Organe simplement consultatif, le Conseil des programmes influe-t-il sur les contenus ? « Même s’il n’a pas de pouvoir de décision, note Esther Jouhet, secrétaire générale de la RTSR, il oblige les professionnels à rendre des comptes. Amenés à devoir défendre leurs choix, ils adoptent une autre manière de réfléchir. »

Yves Ménestrier rappelle qu’un « directeur de la programmation est quelqu’un de très seul, dont le métier est constitué pour 10 % d’audace et pour 90 % d’incertitude. Nous avons besoin d’un faisceau d’informations et de retours sur les programmes diffusés pour juger si une émission est placée au bon endroit ou évaluer sa qualité. Le Conseil des programmes participe à cette réflexion. »

Avec quelles conséquences concrètes ? Suite à cette séance, Gilles Pache va se tourner vers ses troupes pour rappeler l’obligation de ne pas faire de part excessive aux logos publicitaires et demeurer extrêmement vigilant quant aux SMS de téléspectateurs diffusés à l’antenne.

À plus long terme, Yann Gessler constate de véritables infléchissements : « Nous avons multiplié les reportages en provenance d’autres régions que celle du lac Léman. Les micro-trottoirs ne sont plus réalisés systématiquement à Genève, mais aussi à Sion ou Fribourg. »

Le Conseil des programmes demeure méconnu du public
Patience et longueur de temps… Il y a quelques années, une émission de téléréalité qui montrait, à la manière du «Loft », des seniors préparant un spectacle dans un chalet, avait déchaîné les foudres du Conseil des programmes.

Si elle n’a pas été immédiatement supprimée, elle n’a pas été reconduite une deuxième saison. « Le Conseil l’avait jugée incompatible avec le service public, se souvient Yves Ménestrier. L’émission avait du succès mais une mauvaise image. Par la suite, nous avons fait davantage attention à cette dimension. »

Malgré des communiqués de presse exprimant ses positions sur des différents débats, le Conseil des programmes demeure méconnu du grand public. Faut-il le regretter ?

« Il est l’émanation pour la radio et la télévision de la relation particulière des citoyens de ce pays à la conduite des affaires publiques, qu’il s’agisse de politique, d’audiovisuel ou d’école, explique Gilles Pache.

Ce mode de fonctionnement permet de bien vivre ensemble malgré quatre communautés linguistiques et un taux d’immigration unique en Europe. Le Conseil des programmes n’a pas besoin d’être très visible, il est un rouage bien huilé. »

Source : LaCroix.com
Corinne Renou-Nativel

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