RadioSouvenirsFM

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dimanche 21 décembre 2008

Média_Max et la radiobidouille




Matelas pour amortir le son, châssis de camion en guise d’antennes, pare-brise de 4L pour monter des studios. Et surtout, surtout, ne pas oublier l’électricité… produite par des bœufs qui tournent comme dans un manège. En Afrique, Max Bale bricole des stations de radio au service des populations les plus reculées, avec les moyens du bord et depuis des années. On vous raconte, on vous montre.

Max Bale construit des radios et des studios de production dans les régions les plus isolées du globe pour le compte de RFI. C'est son métier. Un métier étonnant et rare qui conjugue inventivité et proximité. Dans ces zones pauvres d'Afrique et d'ailleurs, cet aventurier des ondes, architecte de stations invraisemblables, recycle des chambres à air et de vieux matelas (pour amortir le son), des aspirateurs (pour ventiler le studio), des châssis de camion (pour construire les mâts d'antenne), des pare-brise - uniquement de 4L, les seuls à n'être pas courbés (pour isoler la cabine technique). « On me donnerait un million d'euros pour monter une station que je ne les prendrais pas, assure-t-il. Parce que récupérer des vieilleries crée une complicité avec les populations, qui voient qu'on se casse la tête, qu'on n'arrive pas avec nos gros conteneurs. Leur besoin de radio est immense tant elles manquent de moyens de communication et d'information. En République démocratique du Congo, par exemple, on me demande encore des nouvelles du président Mobutu. Voilà plus de dix ans qu'il est mort ! En Afrique, la radio remplace le téléphone, le docteur, l'instituteur, le vétérinaire et même les pompes funèbres. Ce ne sont pas les gouvernements des différents pays où nous intervenons qui vont les créer. Non seulement ils n'en ont pas les moyens, mais ils en ont peur. Une radio peut devenir une machine de guerre, on l'a vu avec celle des Mille Collines, au Rwanda : c'est elle qui a lancé le génocide. Nous, nous partons du principe que le professionnalisme est la meilleure arme.»

Ainsi parle Max Bale, fils de pied-noir par sa mère, né le 23 juin 1963, quasiment en tombant du bateau qui amène les siens d'Algérie en France. Sa famille s'installe près de Toulouse, dans une cité d'immigrés. Le gamin s'y fait de vrais copains, dont il apprécie la créativité. En 1977, après une opération des amygdales qui a mal tourné, les médecins pensent qu'il va mourir dans la nuit. Ils ont tort. « J'avais 14 ans, et cette fréquentation de la mort m'a fait comprendre que je n'avais pas de temps à perdre », assure ce sportif de 45 ans. A cette époque, de l'autre côté de la Manche, c'est le temps du thatchérisme ; mais c'est aussi celui des Red­skins (rock punk très engagé à gauche) et du rasta. Sorti d'affaire, l'adolescent adhère à ces mouvements qui se révoltent contre les valeurs établies, épousant la philosophie punk. Il découvre aussi le pop art et Andy Warhol. Chanteur et bassiste, Max Bale forme successivement deux groupes et compose.

A 20 ans, maîtrise d'audiovisuel en poche, il enchaîne les petits boulots : projectionniste itinérant, animateur à Fréquence Soleil, puis à Radio FMR, où il présente Cris sans thème, une émission musicale où il ne passe que Linton Kwesi Johnson et les Clash. En 1988, Eddie Barclay le repère et signe l'un de ses titres, A Miami avec toi, qu'il interprète avec son groupe Maria Et. Il fera un second tube, Dubcat, quelques années plus tard, produit par un label anglais. Avec l'argent gagné, il installe son propre studio de production à Toulouse, où il produit et remixe les disques des autres. Mais la vie entre quatre murs - surtout insonorisés - le lasse vite. Il écrit à l'une de ses amies qui travaille à RFI. La station cherche un formateur aux métiers de la radio et du son pour honorer des stages qu'elle organise en Afrique du Sud.

« Je suis parti plusieurs mois, raconte Max Bale, j'ai fait ce que l'on m'avait demandé, mais je me suis aperçu que la méthodologie n'était pas adaptée. En rentrant, j'ai proposé de refaire le tour de l'Afrique du Sud, mais en studio itinérant. Pour comprendre les problèmes, il faut être près des gens. RFI et le ministère des Affaires étrangères ont accepté de financer mon projet que j'ai appelé Khuluma ("parler" en zoulou). » De 1996 à 2004, avec des journalistes locaux, il crée The Voice of Soweto, puis Radio Alexandra, du nom du township le plus dangereux de Johannesburg. Ensuite Max Bale, qui parle l'anglais, l'espagnol, l'esperanto mais aussi le kiswahili, le zoulou et le khosa, repart pour la République démocratique du Congo, la Namibie, la Zambie, le Lesotho, Madagascar - pays qu'il préfère. Avec son équipe, fort d'une structure élargie - RFI Planète Radio est créée (1) en 2005 -, il organise des formations de formateurs, « pour éviter d'envoyer des Blancs en Afrique », et reste peu de temps sur place, « pour ne pas créer de dépendance ». Un jour, à la fin d'une session, un des journalistes lui dit : « Merci, c'est super. J'ai appris beaucoup de choses. Mais comme nous n'avons pas d'argent pour payer le carburant, on ne peut pas émettre. » Déboussolé, Max Bale lui demande de quelle énergie il dispose dans sa région. Le jeune homme répond : « Nous, on n'a que des boeufs... »

De retour en France, Max Bale aperçoit des éoliennes. Il les imagine alors à l'horizontale et actionnées par les boeufs du fameux stagiaire ! Son idée la plus folle vient de naître : fabriquer un système de production électrique par traction animale (Petra). Pour cela, il fait appel à Luigi Damontes, un ingénieur italien croisé au cours de ses voyages et doté de pouvoirs d'invention extraordinaires. En mai 2007, le prototype est prêt : un ouvrage simple, sans électronique, composé d'un alternateur de camion, d'une courroie, d'un peu de ferraille et d'un transformateur pour passer du 24 au 220 volts. A priori, la solution idéale pour les pays pauvres.

Secondé par un conseiller animalier, Max Bale teste l'engin avec des ânes, des mulets, des chevaux, des zébus, des chameaux et même des éléphants. « Un animal qui tourne n'en a rien à faire de la guerre et du prix du pétrole, même si celui-ci vaut 500 dollars », dit-il avant de repartir en République démocratique du Congo et au Timor oriental pour trouver des locaux et former des techniciens capables, en suivant les plans de l'ingénieur italien, de fabriquer d'autres Petra. Ensuite, il ira à Cuba, installer un studio de production dans un centre culturel de La Havane, puis au Venezuela, pour monter une radio destinée aux Jivis, un peuple indigène totalement isolé et vivant à quelques kilomètres seulement de la frontière colombienne.

Sa nouvelle idée en date, et sûrement pas la dernière : créer un label musical 100 % bio à partir des productions réalisées dans les studios construits par RFI Planète. « A partir de 2009, on va sortir chaque année une compilation musicale avec les meilleurs enregistrements. Le son original doit être respecté, même s'il est très différent de celui que nous produisons en Europe. » Il réfléchit et ajoute : « Tout ce que j'ai fait, je le dois aux autres. C'est ça mon côté punk. Il faut de l'utopie dans notre société. Et du pop art pour que les gens regardent au-delà de la barrière. Moi, j'ai grandi avec une défense d'éléphant sur le mur. Tout gamin, mon père, un enfant de la Ddass, s'est engagé dans l'armée. Il a passé beaucoup de temps au Congo. »

Il parle et oublie de dire que, depuis janvier 2008, le premier système de production électrique par traction animale (2) alimente une radio à Bouar, en République centrafricaine.

(1) Ainsi qu'un fonds de coopération qui permet à France Inter, France Info, France Musique, France Bleu et France Culture d'offrir leurs équipements réformés.

(2) A découvrir sur le site www.rfiplaneteradio.org

Source : Télerama.fr

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