RadioSouvenirsFM

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samedi 28 juin 2008

Pub_La pub, l'internaute et son cyberciblage,



Phorm est un logiciel particulièrement intrusif, l'un de ces "trucs" dont raffolent les publicitaires. Rien ne lui échappe de notre navigation sur Internet. Vous préparez des vacances en Grèce. Vous tapez "vols Paris-Athènes" et "Cyclades" sur Google... Vous abandonnez provisoirement vos recherches et, surprise !, alors que vous vous connectez sur Facebook, des pubs surgissent sur votre écran, d'Olympic Airways et de Mykonos.

Phorm, à moins que ce ne soit NebuAd ou Frontproch vous a repéré et ne vous lâchera pas. C'est la mésaventure qui est arrivée à des dizaines de milliers de clients du fournisseur d'accès à Internet British Telecom. Ils n'avaient pas été prévenus de l'accord passé par BT, "à titre expérimental", avec Phorm. Et ne se doutaient pas qu'ils étaient espionnés. Phorm a passé des accords, depuis, avec d'autres fournisseurs d'accès du Royaume-Uni, TalkTalk et Virgin Media. Comme l'a rapporté The Economist, ces accords suscitent un certain émoi outre-Manche où Sir Tim Berners-Lee, le co-inventeur du Web, a annoncé qu'il changerait de fournisseur d'accès si celui-ci s'acoquinait avec Phorm ou l'un de ses semblables.

Les utilisateurs de Google et des autres moteurs de recherche sont habitués à voir surgir sur leur écran de telles annonces ciblées, en rapport avec la requête qu'ils formulent. La différence avec Phorm, c'est que ces liens "sponsorisés" disparaissent quand l'internaute quitte le site de Google ou de Yahoo!. Phorm, NebuAd ou Frontporch, eux, sont tapis dans les ordinateurs des fournisseurs d'accès et pistent en continu les internautes, quels que soient les sites qu'ils visitent.

Où s'arrêtera ce traçage des individus ? C'est à eux de le décider. Adeptes du "tout gratuit", refusant de débourser un centime pour consulter un moteur de recherche, s'informer ou même écouter de la musique, les internautes sont ambivalents. D'un côté, ils s'offusquent d'être victimes de ces publicités virales. Ils craignent pour leur intimité. De l'autre, ils s'en accommodent - jusqu'à un certain point. Ils savent que sans un tiers payant - les annonceurs -, les services qu'ils utilisent n'existeraient pas.

Google est passé maître dans l'art de cibler les internautes sans les heurter. Il bombarde les utilisateurs de son service de courrier, Gmail, de liens publicitaires en rapport avec les messages qu'ils échangent. Par exemple, un internaute parisien dont un e-mail évoque un prochain voyage à New York voit s'afficher sur le côté droit de l'écran les offres d'Air France ou d'American Airlines. Si personne ne se rebelle contre cette violation de son intimité, c'est que les utilisateurs de Gmail préfèrent ce service de courriel à celui de ses concurrents (ils n'ont pas tort).

C'est la force de Google, qui capte 40 % du marché publicitaire on line, d'aimanter ainsi les internautes, même les publiphobes. Pour 60 %, ce chiffre d'affaires publicitaire provient de petits annonceurs, c'est le B.A. BA de la pub on line. S'il est trop coûteux, pour un commerçant de quartier, de faire de la pub dans un quotidien national, cibler, via Internet, les habitants de ce quartier est davantage à sa portée.

LE "TOUT GRATUIT"

Au début de l'année prochaine, un quart de la population mondiale aura accès à la Toile. Le partage de cette manne publicitaire attise évidemment les convoitises. Le braconnage de British Telecom et de Phorm sur le terrain de chasse de Google est une escarmouche à côté de la guerre qui s'annonce. Davantage d'internautes à l'horizon, une exigence identique : le "tout gratuit". Ceci expliquant cela, le ciblage des internautes à des fins publicitaires a toutes les chances de s'intensifier. Ce "tout gratuit" est devenu le modèle dominant. Certains y viennent par pragmatisme : après avoir été tout ou en partie payants, El Pais et le New York Times ont fait machine arrière, espérant compenser leur manque à gagner par un surcroît de trafic, donc de recettes publicitaires.

D'autres s'enthousiasment pour le "tout gratuit" par convictions libérales-libertaires. Dans un article retentissant paru en mars dans le journal en ligne Wired, Chris Anderson, le rédacteur en chef, affirme que tout ce que touche le numérique évolue irrémédiablement vers la gratuité. Son "papier", en forme de manifeste, a pour titre : " Free ! Pourquoi 0,00 $ est le futur du business".

Chris Anderson
n'est pas un plaisantin. On lui doit une théorie fameuse, dite de la "longue traîne", selon laquelle, même les oeuvres difficiles ont leur chance de trouver un public grâce à l'immensité du réseau, donc d'être rentables. Tout le contraire du postulat habituel selon lequel ce sont les best-sellers qui financent les oeuvres les moins abordables.

Si Chris Anderson voit juste, la publicité virale a de beaux jours devant elle. En attendant, elle suscite de fortes résistances. Au Royaume-Uni, l'Information Commissioner's Office (ICO, l'équivalent de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL) a déclaré que Phorm était légal à condition que l'internaute souscrive explicitement à ce "service".

C'est toute la différence qui existe entre la possibilité de désactiver un tel logiciel (opt out) et celle de l'activer volontairement (opt in). Dans le premier cas, les étourdis tombent dans les filets des annonceurs ; dans le second, ils savent à quoi s'en tenir, sachant que ce n'est pas un individu précis que les logiciels espions suivent à la trace, mais l'utilisateur de l'ordinateur, quel que soit cet utilisateur.

La vigilance de l'ICO ou de la CNIL a ses limites. Trois pays sur quatre n'ont aucune législation encadrant l'exploitation et la conservation des données personnelles qui circulent sur le réseau mondial. C'est ce Far West qui encourage la publicité virale. Ne sachant pas ce qui est légal et ce qui ne l'est pas, chacun y va de sa trouvaille, de plus en plus indiscrète.

Contrairement à une idée reçue, Google ou Yahoo! s'inquiètent de cette anarchie. Ils plaident pour un cadre légal universel, fixe, propice à l'expansion de leur business. Peter Fleischer, le conseiller de Google pour la protection des données personnelles, un ancien d'Harvard basé à Paris, préconise ainsi un accord de type convention de Berne qui, à la fin du XIXe siècle, avait jeté les bases de la protection internationale des oeuvres littéraires et artistiques.

Source : Le Monde.fr par Bertrand Le Gendre

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